Qu’y a-t-il de plus décevant et de plus inquiétant que de voir au bout de chaque sentier, dans notre misérable quartier, un tas de jeunes croupissant dans une oisiveté répugnante et s’adonnant maladivement à la drogue ou à une autre addiction odieuse? Les uns ont quitté l’école depuis longtemps car ils n’avaient pas de quoi s’acheter les provisions scolaires, les autres sont déjà diplômés, et selon eux : « pour être accepté dans un boulot il faut avoir déjà une expérience, et pour avoir une expérience il faut avoir déjà travaillé au moins deux ans ». Pour les uns comme pour les autres, il y a tout un faisceau de prétextes et de raisons les ayant amenés à cette apathie, tandis que les troisièmes, ils grimpent à peine les niveaux scolaires. De statuts différents, ils se partagent le même souci, le même rêve et le même amour de la patrie. Ils ne cessent d’encourager l’équipe de leur pays, voire ils ne s’empêchent d’insulter par jalousie ou par enthousiasme ceux qui osent l’outrager. Lors d’une compétition, ils s’entassent dans les cafés après avoir prêté quelques sous pour payer leur consommation, et dès que le match se termine, ils commencent à se vanter et à fêter la victoire ou maudire la défaite. Dans tous les cas, ils attendaient le triomphe de l’équipe qui représente leur patrie. Quel patriotisme alléguons-nous si ce n’est pas cet attachement et ce dévouement ?
Ces jeunes ne cherchent qu’un modeste travail avec un minuscule salaire pour pouvoir sortir de l’impasse que leur impose la vision nihiliste de la société. Ils se font tout un petit rêve de travailler, d’avoir une petite maison et de se marier pour constituer une toute petite famille stable et heureuse. Mais le sentiment de frustration peut avoir des conséquences inattendues : se suicider, se martyriser, risquer dans les mers, agresser les autres, etc. Que leur apporte cette patrie à laquelle ils éprouvent amour et dévouement ? Ils n’ont aucune raison pour l’aimer, mais la patrie est digne d’amour et de défense contre n’importe quel péril que ce soit intérieur ou extérieur. Si l’on défend, tous et ensemble, toute tentative d’empiétement ou d’abus des ennemis étrangers, on devra défendre également toute menace intérieure. « Nous, nous sommes aussi contre ce que vous appelez fitna (tentation), nous optons pour la stabilité de notre pays, sa prospérité et son épanouissement mais ça ne devrait pas être à notre détriment ». Ils sont des citoyens ; ils votent, participent à la vie politique même relativement et s’organisent dans des associations sans qu’ils aient la possibilité d’accéder à la direction. Ils peuvent aussi, si la possibilité leur est offerte, diriger les rouages de leur pays mieux, qui sait ? que les vieux responsables. Mais ceux-ci ne veulent pas renoncer à leurs chaises au profit de ces jeunes aussi ambitieux et travailleurs qu’aux yeux des dirigeants cela ne suffit guère pour gérer un pays émergent comme le Maroc.
« Sire, si l’on voit où les bonnes têtes ont mené la France, il ne serait pas inutile d’essayer les mauvaises ». Cette citation de Gabriel Mirabeau se conforme littéralement avec la situation de notre pays : les jeunes souffrent toujours du chômage au moment où le pays est en état de besoin pour se lancer dans un processus de développement et rejoindre les pays émergents. La gabegie et l’inertie de l’administration ne sont plus à l’ordre du jour. Il faut une gestion saine et managériale des affaires de l’Etat.
La responsabilité l’emporte sur les privilèges, le dynamisme remporte le sinécurisme. Seules ces alternatives sont de nature à faire issir le pays de la crise de légitimité dont il souffre depuis longtemps, et dont les jeunes ont le pouvoir moral et l’énergie innovante pour recrédibiliser l’Etat.
Ô responsables ! ô société ! faites confiance aux jeunes, sauvez-les, ils sont capables de faire ce que l’on a jamais réalisé.
EL Khadir Errajy
